Les déchets et les eaux usées industrielles ont envahi les rivières indonésiennes, en contaminant ainsi le moyen de subsistance principal pour des millions de personnes dans le pays. Les usines bordent les rivière, ce qui leur garantit un accès facile à l’eau qu’elles utilisent dans les processus de production, et qu’elles utilisent pour déverser leurs eaux usées industrielles. Bien que le déversement des eaux usées soit illégal, le gouvernement fait peu pour régler le problème. La surveillance et la maîtrise de la pollution atmosphérique sont inexistantes, et les lois environnementales ne sont pas correctement appliquées, ce qui encourage leur violation systématique en toute impunité.
Depuis 2016, la GAGGA soutient l’organisation Ecological Observation and Wetlands Conservation (Ecological’observation et la conservation des terres humides – ECOTON) pour renforcer la participation et le leadership des femmes dans la lutte contre la pollution de l’eau en Indonésie, et les soutenir dans la défense de leurs droits à l’eau et de l’environnement, y compris en saisissant les voies légales.
ECOTON a été créé en 1996 comme un groupe d’étude sur la conservation des terres humides à l’Université d’Airlangga, en réponse à la préoccupation croissante au sujet des problèmes environnementaux dans la province de Java Orientale, en particulier le long de la rivière Surabaya. Ce groupe a longuement documenté la pollution de l’eau, effectuant des recherches et générant des outils pour aider les populations à protéger et à lutter pour leurs ressources en eau en Indonésie.
« Notre objectif est de favoriser l’utilisation durable des ressources naturelles, de préserver la biodiversité et maintenir les services de l’environnement pour le bien-être de tous mettant en œuvre des pratiques de gestion des zones humides qui impliquent la participation de la communauté », déclare Riska Darmawanti, directrice de recherche d’ECOTON. « Les données du Bureau national des statistiques indiquent que, en 2014, il y avait 10,8 % (environ 8 786 villages) en Indonésie qui ont été frappés par des problèmes de pollution de l’eau… Si vous convertissez ces données dans le nombre de personnes [qui seraient aujourd’hui] atteintes par la pollution de l’eau, nous obtenons un chiffre d’environ 28,8 millions de personnes. » ECOTON travaille essentiellement dans le bassin hydrographique Brantas dans la province de Java Est.
L’impact de la pollution de l’eau sur les femmes en Lakardowo
Le village de Lakardowo, dans la région de Mojokerto, Java Oriental, possède de nombreuses sources d’eau souterraines et des terres agricoles fertiles. La plupart des personnes vivant dans cette région sont des agriculteurs qui cultivent leurs propres grains pour leur propre consommation, comme par exemple le riz, le maïs, le manioc, la haricot mungo, les arachides, le piment, l’aubergine et des fruits comme la banane et la mangue. Les agriculteurs élèvent également des vaches, des chèvres et des poulets dans leurs maisons, et mènent une vie saine et pacifique.
En 2010, la société de traitement des déchets dangereux PT Restu Putra Ibu Abadi (PRIA) a construit un établissement de gestion des déchets pour produire des pavés et des briques de construction. Cependant, les gens n’ont pas été consultés avant sa construction et n’ont pas été informés que l’usine manierait des déchets dangereux dans son processus de production. Les problèmes pour les communautés environnantes ont commencé lorsque l’usine a commencé à déverser illégalement ses déchets dangereux en répandant des contaminants chimiques qui ont pollué les sources d’eau souterraine à Lakardowo.
La perte de sources d’eau propre en Indonésie comporte un large éventail d’effets néfastes, qui affectent notamment les femmes. ECOTON a beaucoup travaillé à Lakardowo où de nombreuses personnes ont été forcées d’acheter de l’eau pour boire et cuisiner. Seuls certains privilégiés peuvent se permettre d’acheter des litres d’eau pour se laver. L’utilisation continue d’eau contaminée pour le bain a provoqué de graves démangeaisons et des problèmes de peau pour de nombreuses personnes dans la communauté, des femmes en particulier. En certains cas, la gravité des symptômes les a forcés à se faire traiter. À long terme, d’autres répercussions de la présence de polluants dans l’eau peuvent devenir plus évidentes au fil du temps, après des années d’exposition. Le mercure, par exemple, est un métal lourd toxique qui peut éventuellement provoquer des problèmes rénaux, des maux de tête, des saignements des gencives, des tumeurs et des problèmes de vision.
Les femmes sont particulièrement vulnérables à ces problèmes, car elles sont plus impliquées dans le travail domestique, y compris la gestion de l’eau. Les femmes ont un contact plus direct et prolongé avec l’eau, et par conséquent plus le temps d’exposition aux polluants. Les femmes sont également plus sensibles aux polluants que les hommes car elles ont plus de graisse/tissus lipidiques, qui stocke les toxines. Les polluants peuvent aussi entraver la croissance et le développement fœtal pendant la grossesse. Des effets négatifs sur la santé des nourrissons et des enfants peuvent entraîner une plus grande demande en temps, énergie et ressources financières de la part des femmes qui s’en occupent dans la plupart des cas.
Les femmes de Lakardowo, les spécialistes de l’eau
Avec le soutien de GAGGA, ECOTON a renforcé l’expertise technique et la confiance en soi d’un groupe de femmes dans Lakardowo ce qui les a motivées à exiger le respect de leur droit à l’eau. ECOTON a commencé par le partage d’information et la sensibilisation en ce qui concerne les retombées directes sur la santé de la contamination de l’eau. L’étape suivante prévoyait le renforcement des compétences des femmes afin qu’elles puissent participer activement à la surveillance de la pollution de l’eau. Bien que les femmes du village étaient au courant de déversements illégaux, elles ne savaient pas que les déchets liquides contenaient des substances dangereuses. Elles n’avaient, par ailleurs, aucune preuve montrant que des déversements illégaux avaient lieu et nuisaient aux sources d’eau du village. Les femmes qui font partie de l’organisation Gerakan Perempuan Mandiri Lakardowo ou Independent Movement of Lakardowo Women – GREEN WOMAN (Mouvement indépendant des femmes – FEMME VERTE) ont désormais les compétences leur permettant d’identifier les problèmes de pollution et mener des campagnes de lobbying et de plaidoyer. Le Guide de l’ECOTON pour la surveillance communautaire de la qualité de l’eau explique comment mesurer facilement des paramètres de base tels que la température, le pH (qui mesure l’acidité ou alcalinité de l’eau), le total des solides dissous et de la conductivité électrique. Les mesures peuvent être effectuées avec un équipement numérique simple acheté dans un magasin ou en ligne, le même qui est utilisé pour mesurer la qualité de l’eau dans un aquarium.
Les membres du groupe GREEN WOMAN ont commencé à surveiller les paramètres de base autour de trois sous-villages, en tenant compte des récits des villageois souffrant de maladies de peau. Ces mesures leur permettent d’évaluer la qualité de l’eau de leurs puits, et déterminer si elle est potable ou non. Les résultats de cette surveillance de paramètres tels que les bactéries, les métaux lourds et les sulfates ont révélé que la valeur des paramètres de l’échantillonnage du site étaient beaucoup plus élevés que la norme, ce qui signifie que l’eau ne peut être considérée comme sûre.
Doter les femmes des compétences nécessaires pour surveiller la qualité de l’eau, recueillir des données sociales et de santé et savoir comment interpréter les données recueillies a fait en sorte que ces femmes soient préparées à défendre leur accès à l’eau potable. Le leadership des femmes a joué un rôle essentiel, puisque les habitants de la communauté connaissent maintenant la qualité de l’eau de leurs puits et peuvent prendre des mesures pour éviter de boire ou d’utiliser de l’eau contaminée. En cas de besoin, les membres de la communauté ont commencé à acheter collectivement de l’eau propre.
Les femmes ont également acquis des connaissances au sujet des normes de qualité de l’eau potable, et peuvent désormais discerner si les fonctionnaires leur donnent des informations erronées sur l’état de leurs ressources en eau. La formation et la pratique ont donné à ces femmes le courage de remettre en question les données présentées par les institutions gouvernementales.
Les données recueillies par les femme se sont également constituées en un élément de preuve déterminant dans la lutte contre les industries qui polluent l’eau de Lakardowo. En 2017, le groupe GREEN WOMAN a entamé des poursuites contre le maire et l’administration communale de Mojokerto pour avoir étendu l’autorisation de la société de traitement des déchets dangereux PT PRIA. Le maire, qui figurait sur le livre de paie de l’usine, avait prolongé le permis sur la base de données erronées, sans avoir mené de consultation adéquate avec la communauté et avant l’échéance de l’obligation d’évaluer les incidences sur l’environnement. Riska explique le difficile contexte social : « Dans le village, la moitié des habitants travaillent dans l’usine et l’autre moitié sont des agriculteurs. La pollution de l’eau a divisé et détruit toute relation sociale entre les deux groupes. »
Les femmes insistent pour que le gouvernement local retire le permis et procède au nettoyage de la zone contaminée. Bien que la première décision dans l’affaire leur a été défavorable, les femmes ont fait appel à la Cour suprême. ECOTON les a soutenues tout au long du procès. Malgré le premier revers juridique, des changements positifs sont déjà évidents. Les nouvelles autorités du village se montrent plus coopératives pour s’attaquer à la pollution de l’eau. Les femmes signalent par ailleurs qu’elles sont traitées avec plus de respect par les autorités locales et la police puisqu’elles sont en mesure de défendre leurs droits.