Publié le novembre 7, 2018

Les femmes de Marina Cué, résistance et autonomisation au Paraguay

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Les femmes de Marina Cué sont un modèle de résistance. C’est grâce à leur travail de plaidoyer qu’elles ont obtenu la libération de leurs camarades condamnés dans l’affaire du massacre de Curuguaty. Elles ont obtenu en outre la construction d’une école multiniveaux et d’une route, elles ont mis en place un potager communautaire ainsi que d’autres activités productives dans le village de Marina Cué.

Il y a six ans, la vie des familles de Marina Cué, un terrain situé dans la ville de Curuguaty, au Paraguay, a basculé. Une expulsion violente, menée par la police, a causé la mort de 17 personnes, 11 paysans et 6 agents. Ces faits sont passés dans l’histoire comme le massacre de Curuguaty. Dans cette affaire, 11 paysans et paysannes ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison, certaines allant jusqu’à 30 ans d’emprisonnement. Cette affaire a donné lieu, en outre, au procès politique qui a abouti à la destitution de l’ex-président du Paraguay Fernando Lugo.

À la suite de ces faits de violence, la groupe des « Femmes de la Commission des victimes du massacre de Curuguaty » a été créé par des femmes qui se sont trouvées à devoir se battre non seulement pour la libération des paysannes et paysans condamnés pour la mort des policiers, mais également pour leur subsistance économique et le développement de leur village, leur objectif principal étant que les terres de Marina Cué soient destinées aux paysans et paysannes de la région.

Tous les paysans et paysannes ont été acquittés au mois de juillet de cette année grâce aux stratégies de lobbying et les démarches entreprises par la Commission. À ce jour, cependant, il n’y a eu aucune condamnation pour le meurtre des 11 paysans.

LA TENTE DE LA RÉSISTANCE COMME MÉTHODE DE COMBAT

Pendant deux ans, de 2016 à 2018, les membres de la Commission et leurs familles se sont installés dans une tente placée face au Palais de Justice d’Asunción, afin de faire pression pour la libération des condamnés pour le massacre. Cette forme de protestation a commencé lorsque les paysans et paysannes ont été reconnus coupables du massacre et condamnés.

« Le montage de la tente était un mode de résistance pacifique de la part des familles des prisonniers et prisonnières de Curuguaty. Cette tente a été installée juste en face du Palais de Justice pour transmettre un message concret et rappeler tous les jours aux opérateurs de la justice la condamnation injuste infligée aux paysans et paysannes. Il s’agissait également d’un appel à l’aide lancé à la société paraguayenne, et une forme de dénoncer face au monde entier la criminalisation qui avait été faite de leurs proches qui avaient eu le courage de faire entendre leurs voix », a indiqué Raquel Aveiro, Coordinatrice au Paraguay du Fondo de Mujeres del Sur (FMS), organisation qui a fourni un appui financier et technique aux femmes de Marina Cué.

La « tente de la résistance » a été démontée le 28 juillet 2018, lorsque la Chambre pénale de la Cour Suprême de Justice a acquitté les syndicats en raison de lacunes du processus d’enquête.

« C’est ici que les mères et les proches des martyrs et des condamnés de Marina Kue avons fait notre résistance. Nous exigeons la justice, la liberté et la terre », dit un panneau à l’emplacement où était montée la tente, selon les médias paraguayens.

Josefa Acosta, habitante du village, explique que « la Commission est devenue plus forte quand nous avons commencé à installer la tente de la résistance, parce que nous étions des femmes et des hommes, mais surtout des femmes, mères ou épouses des victimes ».

Cinq des paysans condamnés ont été emprisonnés dans la prison de Tacumbú, à Asunción, jusqu’au mois de juillet 2018, lorsqu’ils ont été acquittés. En 2012, les prisonniers et prisonnières ont entamé une grève de la faim qui a duré 28 jours.

« L’installation de la tente était un geste symbolique et politique de résistance contre l’autoritarisme, la criminalisation des paysans, l’injustice, et pour donner visibilité à la féroce lutte pour la terre au Paraguay. La tente de la résistance a permis aux paysannes et paysans de conserver un espace de visibilité pour leurs réclamations, face au silence qui était souvent l’unique réponse des médias traditionnels du Paraguay », dit Raquel Aveiro.

COMMENT NAÎT LA COMMISSION? 

La Commission naît dans le but de présenter des demandes à l’État du Paraguay : la liberté des femmes et des hommes emprisonnés et condamnés pour la mort des policiers ; que les coupables de la mort des paysans soient punis ; l’indemnisation des victimes ; et que les paysannes et paysans de Marina Cué aient accès à la terre.

« Nous avons eu la chance de pouvoir bien nous organiser », explique Marina Paredes, une des intégrantes de la Commission. « Aujourd’hui, nous cultivons des légumes, des végétaux, du maïs, des haricots », explique-t-elle en détaillant toutes les activités qu’elles ont mis en place grâce aux financements et formations qu’elles ont reçus.

Nous avons énormément avancé. Au moment du massacre nous n’avions rien, et maintenant, on n’en croit pas nos yeux, voyez tout ce qu’il y a. Nous n’avions aucune organisation, nous n’avions rien, mais grâce aux soutiens que nous avons reçus, nous avons pu continuer et résister », affirme Martina.

Josefa Acosta, elle aussi membre de la Commission, confirme : « Notre résistance s’est battue non seulement pour la liberté des détenus, mais aussi pour que nos enfants aient une vie digne ».

L’ORGANISATION CRÉATRICE D’AUTONOMIE 

« C’est incroyable ce que les femmes peuvent faire quand elles s’organisent », dit Raquel Aveiro, coordinatrice pour le Paraguay du Fonds des femmes du Sud (FMS), en analysant ce que les femmes de la Commission ont accompli.

Le Fonds des femmes du Sud est une des trois organisations qui ont soutenu la Commission par le biais de son Programme de renforcement des défenseures de l’environnement, financé par la Global Alliance for Green and Gender Action (GAGGA). Le Fondo de Acción Urgente – América Latina y el Caribe a également soutenu la Commission.

« Nous avons commencé à travailler avec elles pour renforcer leur organisation, et pour qu’elles soient en mesure de développer des techniques pour leur propre durabilité. Par exemple, présenter des projets et avoir accès à d’autres fonds et organisations, pour les aider à trouver des financements pour les besoins qui étaient identifiés au fur et à mesure », explique Aveiro.

« C’est merveilleux, ce qu’elles ont fait. Dans la Commission, il y a 45 femmes. Ce sont elles qui ont pris en charge l’organisation et la gestion des ressources communautaires, en défense de la terre et de la souveraineté alimentaire, et qui en plus ont mené le combat pour la justice dans les cas d’incarcération arbitraire à la suite du massacre », ajoute Aveiro.

« Pour nous, ce que nous avons accompli à Curuguaty est très satisfaisant », dit-elle.  

OUTILS POUR LA DURABILITÉ LOCALE

Avec le soutien des autres organisations,les habitants de Marina Cué cultivent les aliments qu’ils consomment et vendent les excédents dans les foires. De plus, c’est grâce aux démarches entreprises par la Commission qu’une école multiniveaux a vu le jour à Marina Cué, et qu’avec l’appui du FMS un atelier de couture a été ouvert. Le Service national de formation professionnel a pris en charge les formations relatives à l’utilisation des machines à coudre qui ont été données.

DES FEMMES QUI SE BATTENT POUR LEURS DROITS

Du point de vue organisationnel, l’autonomisation des femmes de Curuguaty « a été impressionnante », estime Raquel Aveiro du FMS. « Elles ont obtenu de l’aide d’autres organisations de la société civile, dont Amnesty International.

Ici, au Paraguay, les hommes détiennent les positions de pouvoir, il est difficile de se positionner et de s’autonomiser. Il est très important pour elles de gérer leurs ressources, c’est ce qui les positionne », dit Aveiro.

À ce propos, elle indique que, bien que la Commission ne se soit pas dotée de personnalité juridique, ses membres ont obtenu « d’avoir une voix, ce qui est très important car les femmes sont désormais incluses au niveau communautaire ».

Aveiro rappelle que le cas du massacre de Curuguaty a été mené face à l’Organisation des Nations Unies.

Elle ajoute néanmoins que la Commission doit encore « faire des efforts pour renforcer son développement organisationnel et ses ressources pour approfondir et assurer ses accomplissements », mais que « il s’agit là d’un exemple qui montre bien que c’est possible, que quand les femmes s’unissent elles peuvent saisir les opportunités, c’est un exemple pour les autres organisations de femmes ».

« Nous avons pu mener nos actions de plaidoyer grâce au Fonds des femmes du Sud, et des camarades d’autres organisations nous ont aidées. Nous avons une école, une église et des routes, nous travaillons dans la communauté. Nous avons un entrepôt de biens de consommation qui appartient à l’association de femmes. Nous avons eu la chance de bien pouvoir nous organiser », insiste Martina Paredes.

Raquel Aveiro estime qu’il serait bon de continuer à « appuyer le renforcement de la Commission des femmes en différents contextes » car « le village, malgré son rêve de devenir une communauté modèle, a un long chemin devant soi avant d’atteindre ses objectifs.

Aujourd’hui, les femmes qui étaient assignées à résidence et qui ont été libérées se sont insérées dans le village de Marina Cué, et les hommes qui étaient incarcérés ont mené des actions de collecte de fonds pour pouvoir se construire des logements précaires et s’installer dans le village.

 

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Fondo de Mujeres del Sur: Femmes de la Commission des victimes du massacre de Curuguaty (espagnol)

Fondo de Acción Urgente – América Latina y el Caribe: Courage et résistance: l’histoire des paysannes criminalisé au Paraguay (espagnol)