Publié le avril 24, 2019

GAGGA Bulletin #3: La résistance des femmes à l’exploitation minière: l’articulation, le renforcement et la construction de la solidarité

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« Nos grands-parents leur ont demandé de construire de bonnes routes, d’amener l’électricité et de bâtir des hôpitaux. Mais ils n’en ont rien fait. Il n’y a pas d’électricité ici. Le développement…nous ne savons pas ce que c’est que le développement, nous ne le sentons pas »

Pascaline*, République démocratique du Congo (RDC)

Sur les trois continents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, les histoires sur les communautés forcées de quitter leurs terres pour faire place à des activités extractives foisonnent, qu’il s’agisse d’initiatives mises en avant par les gouvernements ou par les entreprises. Nul besoin de chercher bien loin pour trouver des communautés subissant ce genre de projet au nom du développement et du progrès. Ces collectivités forcées à vivre dans des conditions d’insécurité de plus en plus marquées, et qui voient leurs sources de vie et moyens de subsistance, l’accès aux terres communales, à l’eau et aux forêts, ainsi que leur sécurité, menacés par des projets miniers ou des mégaprojets d’infrastructure.

Femmes Défenseures de l’environnement en résistance face aux mines

Ce sont les femmes qui portent le plus lourd fardeau des activités extractives et des dévastations sociales et environnementales en découlant. Les actions et omissions perpétrées par les états et les entreprises à l’encontre de l’environnement, portent atteinte et limitent l’exercice de leurs droits et met leurs vies en péril.

« Je pensais à ma communauté, à comment c’était avant, lorsque nous vivions sur les rives du lac, et la pêche nous donnait de quoi vivre. J’ai senti une grande tristesse au souvenir des groupes et communautés autochtones qui ont disparu parce que nous n’avons plus d’eau ni de lacs ; ils ont séché à cause des mines. Et j’ai senti l’eau polluée par les compagnies minières, cette eau contaminée est dans mon corps, et je me suis sentie triste parce que nous ne pouvons rien y faire. Je me suis sentie impuissante et en colère, pour lutter contre ce gouvernement extractiviste qui nous met en danger. »

Margarita Aquino, RENAMAT, Bolivie, [dans Women Protecting their – land and body- territories (Les femmes qui protègent leur -terre et leur corps- territoires, troisième réunion des subventions stratégiques pour les femmes défenseures de l’environnement de la région, Fondo de Acción Urgente – América Latina y el Caribe, Paraguay, novembre 2018].

Malgré ces situations, les femmes élèvent leurs voix contre les effets négatifs et destructeurs de la minerie sur leurs vies et leur environnement. Cependant, ces espaces de résistance et d’autoreprésentation comportent de plus en plus de risques et de menaces de la part des entreprises, des états et des pouvoirs militaires, qui contrôlent les politiques et la prise de décisions en ce qui concerne l’exploitation des ressources. Aujourd’hui, dans tous les continents, les femmes qui défendent l’environnement font l’objet de harcèlements, de menaces, elles sont criminalisées et assassinées en raison de leur prise de position et de leur activisme visant à défendre le bien commun, qui est perçu comme une menace par les grandes corporations.

Les femmes défenseures de l’environnement sont criminalisées car « elles s’opposent au progrès » et, dans certains pays, elles sont accusées de terrorisme par le biais de lois visant à restreindre leur mobilisation sociale. Le nombre des défenseures des droits humains assassinées ne cesse de croître, dans la violence et l’impunité, particulièrement lorsque leur combat est axé sur les conflits environnementaux. Les gouvernements de différents pays ne disposent pas de données officielles sur les violences faites aux défenseures de l’environnement ; dans la plupart des cas, ces crimes sont submergés dans l’impunité et le silence [« Impunity for Violence: Against Women Defenders of Territory, Common Goods, and Nature in Latin America », 2018, Urgent Action Fund Latin America and the Caribbean |“Impunidad de las Violencias: Contra Mujeres Defensoras de Los Territorios, los Bienes Comunes y la Naturaleza en América Latina”, 2018, Fondo de Acción Urgente América Latina y el Caribe].

Par ailleurs, le langage et la terminologie employés pour parler de droits des femmes et les effets des projets miniers sur celles-ci deviennent peu à peu les mêmes que les termes employés par les acteurs qui promeuvent l’industrie minière, y compris les institutions financières internationales. Ces acteurs sont les promoteurs de politiques, sauvegardes et pratiques qu’ils influencent, dans le but apparent de respecter l’égalité des sexes et la santé de l’environnement, intention qui ne se reflète nullement dans leurs pratiques au jour le jour.

Peu à peu, les femmes ont pris conscience de la vacuité de ces acteurs et leurs politiques, ainsi que des ravages de l’industrie minière. Les mégaprojets miniers multinationaux conduisent au conflit et à la violence, aux dépens de la terre, des peuples et des politiques étatiques. Ils sont malgré tout soutenus par les états au travers d’actes législatifs, de la protection militaire et du pouvoir judiciaire. Au constat de l’incapacité des états de défendre les sauvegardes constitutionnelles et les principes internationaux des droits humains, leur préférant les projets et une économie extractive, les femmes de tous les continents se sont unies afin de construire un partenariat collectif de représentation et solidarité mondiale, pour résister à la minerie et promouvoir un modèle alternatif durable.

Renforcer la voix collective et construire la solidarité

Compte tenu des différents types de violence et de restriction des droits subis par les femmes au quotidien sur leurs territoires, les femmes se sont rassemblées pour s’organiser. Elles ont approfondi leurs connaissances et renforcé leurs capacités en matière de droits des femmes, de transformation des différents types de violence, des principales approches féministes, de l’emploi des outils de communication digitale, ainsi que des principaux mécanismes de défense des droits. Il s’agit de créer un espace de participation pour toutes les femmes, pour qu’elles s’approprient de l’analyse de leurs contextes, et de les encourager à faire usage de leur voix et de leurs compétences pour faire face à ces défis, sur le plan individuel aussi bien que collectif.

« Renforcer nos capacités nous aide à mieux nous défendre et résister. Connaître les enjeux nous permettent de répondre de la forme la plus adéquate. De mettre au point des réponses collectives. De cesser d’être des victimes et devenir des actrices sociales et politiques. »

[Une femme ayant participé à l’atelier/réunion « Protection individuelle et collective ; prise de position politique pour la protection et la sécurité des défenseures des droits humains et des activistes en Amérique latine » – Pérou, septembre 2016]  

Alors même que des mécanismes colonialistes et racistes persistent ai sein de nos sociétés, les femmes visent le renforcement de leurs cultures et des liens communautaires, tout en honorant et prenant conscience de leurs traditions, des savoirs ancestraux de nos grands-mères et de la spiritualité en tant que piliers de leur force intérieure et de leur protection collective. Les femmes par ailleurs, et notamment les femmes afro descendantes et paysannes, proposent un point de vue particulier vis-à-vis de l’économie mondiale, et mettent en avant des propositions communautaires visant à faire opposition aux modèles de développement extractivistes imposés, en cultivant leurs propres aliments, assurant la protection des sources d’eau et de leurs territoires pour une vie meilleure. Confrontées à un système culturel et économique en décadence, les femmes ont décidé de ne pas avoir peur, de parler, de se trouver une force collective, de prendre soin les unes des autres, et de forger de leurs mains un futur fait de gentillesse et de solidarité.

C’est sur cette voie menant à l’articulation des voix et requêtes des femmes défenseures que les efforts d’organisations telles que Women and Mining Network en Asie (WAMA), WoMin en Afrique, Fondo de Acción Urgente – América Latina y el Caribe et Colectivo CASA en Bolivie, se sont rassemblées dans le cadre de la Global Alliance for Green and Gender Action (GAGGA) afin de montrer le pouvoir des femmes et de reconnaître leur rôle dans la lutte pour le démantèlement de modèles économiques et politiques nocifs, qui portent atteintes à la durabilité humaine et au bien-être de l’environnement.

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